L’analyse de vingt ans de croissance urbaine de l’agglomération de Dakar, naturellement vulnérable aux inondations, permet d’imaginer différents scénarios futurs. Ces projections mettent en lumière l’influence des politiques publiques sur la configuration de la ville et par là-même, sur les vulnérabilités face aux inondations d’ici à 2050.
par Stéphanie Dos Santos, Attoumane Artadji, Papa Gueye Sow, Anastasie Mendy et Cheikh Samba Wad
L’analyse de vingt ans de croissance urbaine de l’agglomération de Dakar, naturellement vulnérable aux inondations, permet d’imaginer différents scénarios futurs. Ces projections mettent en lumière l’influence des politiques publiques sur la configuration de la ville et par là-même, sur les vulnérabilités face aux inondations d’ici à 2050.
“La hantise des inondations” : ce titre d’article du média d’information SenePlus daté de 2023 illustre les conséquences récurrentes des pluies extrêmes dans la capitale du Sénégal, Dakar. Chaque année, à l’instar d’autres villes au sud du Sahara, cette ville est le théâtre d’inondations ayant des répercussions humaines et matérielles conséquentes. Les chiffres les plus récents datent de 2010 et permettent d’en mesurer l’ampleur : durant la saison des pluies de 2009, près de 360 000 personnes qui ont été victimes des inondations, principalement dans les zones périurbaines de Dakar, soit 13 % de la population de l’agglomération. Le département de Pikine a été le plus touché. L’ampleur des dégâts a alors été estimée à 48 milliards de FCFA selon un rapport du gouvernement du Sénégal1.
L’intensité des pluies, qui ne cesse de s’accentuer ces dernières années, est un des facteurs avancés pour expliquer la récurrence de ces catastrophes urbaines. Mais un autre facteur est très souvent mis en avant, celui de la croissance démographique incontrôlable, généralement résumée par le terme d' »urbanisation galopante”. Bien souvent, la croissance spatiale d’une ville est réduite à sa manifestation la plus communément visible : l’augmentation du nombre de ses habitant.e.s et donc du nombre d’habitations. En particulier, dans le cas des villes ouest-africaines comme Dakar, c’est bien souvent l’habitat de la population urbaine la plus pauvre qui est mis en cause. Ainsi, l’habitat spontané, informel, qualifié d’anarchique et/ou d’illégal, notamment par les élites politiques et relayées par les médias, est vu comme la première cause des catastrophes liées aux extrêmes pluviométriques. Les populations résidant dans ces zones sont accusées d’être responsables de leur propre malheur, puisqu’elles se sont installées de manière irrégulière dans des zones dites à risque d’inondations.
Pourtant, on peut aussi inverser la réflexion et se demander comment des populations ont pu s’installer dans des zones identifiées comme à risque par les pouvoirs publics. Ces zones “non ædificandi” (non constructibles) sont définies comme ne pouvant recevoir aucun édifice du fait de la nature de leurs sols. On s’interroge ainsi sur le rôle des pouvoirs publics à fixer des règles, à les faire respecter par la population, mais également à les respecter eux-mêmes. L’aménagement de la technopole de Dakar à Guédiawaye est éclairant à ce titre puisque ce haut lieu de la relance économique érigé par les pouvoirs publics eux-mêmes, s’est pourtant construit sur une zone humide qualifiée de “protégée” par les plans d’aménagements urbains.
Dakar, une ville naturellement inondable
Les caractéristiques du sol de la métropole de Dakar déterminent des zones vulnérables aux inondations. En plus d’une topographie basse qui favorise les entrées maritimes, l’analyse de la nature des sols démontre que 57 % sont hydromorphes, c’est-à-dire que ces sols sont régulièrement saturés d’eau (figure 1). Ainsi, à Dakar, la nappe phréatique remonte en moyenne de 15 cm par an. Le département de Rufisque est celui dont les sols sont les plus exposés au risque d’inondations puisque 70% des sols y sont hydromorphes. Or, l’aménagement rapide de la métropole dakaroise a faiblement pris en compte ces caractéristiques physiques.
57 % des sols de la métropole de Dakar sont naturellement vulnérables aux inondations
En 20 ans, l’empreinte urbaine à Dakar a doublé
Entre 2001 et 2021, la région de Dakar a connu un doublement de son empreinte urbaine (figure 2). Certains départements sont aujourd’hui quasiment saturés, comme à Dakar-centre, où 76 % de la surface est occupée par des immeubles, des habitations, des équipements, des infrastructures ou des bâtiments industriels ou commerciaux. Rufisque reste le seul département où il est encore possible que l’urbanisation de l’agglomération dakaroise puisse se poursuivre, alors qu’une forte pression foncière s’observe déjà avec un taux de croissance annuel de 4 %.
Pour soutenir le développement économique de l’agglomération, différents types d’aménagements ont fortement contribué à l’occupation de Rufisque, malgré des sols largement hydromorphes : nouvelles infrastructures routières (i.e. train express régional), nouvelles zones économiques (pôle urbain de Diamniadio) ou touristiques (autour du Lac Rose), etc. Ironie du sort : l’aménagement du quartier de Jaxaay pour reloger les sinistrés des inondations de 2009 des départements de Pikine et Guediawaye. En effet, la population qui y réside aujourd’hui est chaque année victime des inondations (figure 3).
Diversités des trajectoires urbaines en 2050 ou l’influence de l’application des politiques publiques
Cet aménagement de l’espace urbain est pour le moins surprenant car la région s’est dotée en 2016 d’un plan directeur d’urbanisme (PDU) à l’horizon 2035 qui prévoit d’autres configurations. Il définit notamment trois catégories d’espaces urbains. D’abord, les zones inappropriées à l’urbanisation, dans lesquelles tout aménagement est interdit. Elles concernent les forêts naturelles ou aménagées, les zones humides (Niayes ou marécages) et les zones à risque (zones de glissement de terrain dues aux fortes pentes, zones d’inondation et zones de submersion côtière). Ensuite, les zones de contrôle de l’urbanisation sont des zones réservées à la promotion de l’agriculture. Enfin, les zones de promotion de l’urbanisation sont théoriquement les seules à pouvoir être aménagées. Or, comme nous venons de le voir plus haut, l’analyse de l’histoire de l’aménagement démontre que ces règles sont loin d’avoir été respectées.
Il est alors intéressant d’analyser comment le respect ou non du PDU modèle différemment la trajectoire d’urbanisation de l’agglomération. Ainsi, si l’on poursuit de manière linéaire la tendance à l’horizon 2050 de la dynamique passée (2001-2021), on produit un scénario où 55 % de la surface de la métropole de Dakar est couverte par l’empreinte urbaine. Si, au contraire, on fait l’hypothèse que l’application du PDU est strictement respectée, sous contraintes donc, cette couverture ne sera que de 52 % (figure 4).
Plus spécifiquement, avec la prise en compte des contraintes du DPU, le taux de couverture de l’empreinte urbaine diminuerait fortement dans les départements de Guédiawaye (-19%) et de Pikine (-7%). Rufisque verrait également son taux de croissance d’empreinte urbaine diminuer dans le scénario avec contraintes (1,27% par an avec contraintes contre 1,32 % sans contraintes).
L’application effective des politiques publiques diminuerait de 19% l’empreinte urbaine à Guédiawaye
Les différences les plus notables entre ces deux types de scénarios portent surtout sur la préservation des écosystèmes. Les espaces verts de la Niaye de la technopole de Dakar et des forêts (Mbao, Hann et les plantations de filaos), le maintien des zones agricoles et la limitation de l’expansion de l’empreinte urbaine sur le front du littoral nord et à proximité des zones marécageuses seraient alors effectivement protégées (figure 4).
L’analyse diachronique de l’occupation du sol met ainsi en évidence comment le processus d’occupation de terres inondables se nourrit tout autant du laisser-faire de l’installation de la population que de projets d’aménagement qui ne respectent par le PDU. Pourtant, la vulnérabilité aux inondations dépendra largement du respect de la planification urbaine, lui-même influençant les trajectoires futures de la métropole de Dakar. La question est alors de comprendre les mécanismes de mise en œuvre effective de cette planification, et parfois par les pouvoirs publics eux-mêmes.
- Rapport final du Gouvernement du Sénégal et de la Banque Mondiale (2010) https://www.gfdrr.org/sites/default/files/GFDRR_Senegal_PDNA_2010_FR.pd ↩︎