Dans de nombreux quartiers de Dakar, des inondations se produisent de plus en plus fréquemment depuis 20 ans. Parmi les différents facteurs susceptibles d’expliquer ces inondations récurrentes, la croissance urbaine joue un rôle majeur, du fait de l’imperméabilisation des sols et de la difficulté à évacuer les eaux de pluie.

par Christophe Bouvier, Laurent Diémé et Romain Leclercq

 

A Dakar, les inondations urbaines surviennent régulièrement dans plusieurs quartiers, depuis plus de deux décennies. Le plan ORSEC, mécanisme d’urgence visant la coordination et la gestion des catastrophes au Sénégal, a été déclenché en 2005, 2009, 2012, 2019, 2020, 2021, 2022. Les inondations de 2005, par exemple, ont généré des épidémies de choléra1. En 2009 les dommages et pertes liés aux inondations ont été évalués à 35,5 milliards de FCFA2. En 2012, elles ont lourdement affecté les populations et entrainé des décès soit directs (26 morts) ou indirectes dus pour la majeure partie d’entre eux aux conséquences sanitaires (épidémies de choléra, paludisme…) de la stagnation des eaux, plusieurs mois après la fin de l’hivernage.

 

Dakar, une croissance urbaine rapide

Dakar a connu un étalement urbain croissant, avec une accélération notable à partir de la sécheresse des années 70-80, qui a été l’un des principaux facteurs d’exode rural et de migration vers la capitale (Figure 1). Actuellement, Dakar concentre sur moins de 0,3 % de la superficie du pays, près de 25% de la population nationale et 50% de la population urbaine du pays. D’Ouest en Est, les villes de Dakar, Pikine, Guédiawaye, Keur Massar et Rufisque forment un continuum urbain très imperméabilisé et marqué par une forte densité de population (plus de 6000 habitants/km2, contre une moyenne nationale de 92 habitants/km2, selon le dernier recensement). Cette forme d’urbanisation, très consommatrice d’espace, s’étend vite dans l’espace, avec un habitat principalement horizontal.

Figure 1 : Extension spatiale de l’urbanisation à Dakar de 1921 à 2018 (Source : PDU Dakar 2035, réadapté)

Dans le même temps, les infrastructures de drainage des eaux pluviales ont très peu évolué. La prise en compte réelle des problèmes de drainage des eaux de pluie a réellement démarré suite aux inondations de 2012. Cela à travers l’exécution du Projet de Gestion des Eaux pluviales et d’adaptation au changement climatique (PROGEP 1) qui visait deux volets : mise en place de mesures structurelles (constructions de canaux de drainage et bassins de rétention) et non structurelles (amélioration de la gouvernance, la communication et l’intégration des populations dans la gestion du risque) pour libérer certaines zones de Pikine et Guédiawaye des inondations. Les travaux réalisés comprennent des canaux de drainage, des espaces de stockage des eaux pluviales et des ouvrages de rejets en mer. Par ailleurs, nombre de secteurs sont encore sous-équipés pour le drainage, alors qu’ils ont connu une urbanisation massive. Ceci a motivé le lancement pour 2021-2026 d’un prolongement du PROGEP 2, centré sur les zones périurbaines, notamment au niveau de Keur Massar et ses environs, avec pour mission de renforcer les infrastructures de drainage tout en améliorant les capacités de planification et de gestion intégrée des inondations urbaines. L’extension urbaine se poursuit désormais vers Thiès à l’est et le département de Mbour au sud, facilité par la densification du réseau d’axes routier. Ce triangle stratégique Dakar-Thiès-Mbour (appelé le grand Dakar), qui a déjà commencé à accueillir des aménagements structurants (aéroport international Blaise Diagne, prolongement de l’autoroute à péage, ville nouvelle de Diamniadio), présage déjà une densification de l’urbanisation dans les prochaines décennies.

 

L’impact de l’urbanisation sur les écoulements

A Dakar, les sols sont majoritairement sableux et très filtrants, et des mesures d’infiltration ont montré que le ruissellement était négligeable sur ces sols. Par ailleurs, des mesures de pluie et d’écoulement réalisées à Dakar dans les années 90 ont montré que les écoulements étaient directement liés au degré d’urbanisation des zones étudiées, ce qui est cohérent avec le fait que les sols naturels sont très perméables. En d’autres termes, la part de pluie qui ruisselle en surface est égale à la proportion de surfaces urbanisées de la zone considérée. Cette hypothèse, établie sur un bassin test, a été généralisée sur toute la presqu’ile.

Cette hypothèse indique que l’accroissement d’écoulement, en volume et en débit, est directement égal à l’évolution du degré d’urbanisation. Ainsi, dans la zone de Keur Massar, où l’urbanisation est passée de 10 à 60 % entre 1983 et 2020 (Figure 2), les débits seraient multipliés par un facteur 6, sous l’effet de la croissance urbaine. A noter que dans des quartiers déjà fortement urbanisés, dont la croissance urbaine est nécessairement limitée, les débits pourraient en revanche augmenter dans un rapport beaucoup plus faible, voire ne pas augmenter, au cours des prochaines décennies.

 

Figure 2 : Exemple dans la zone de Keur Massar de 2 bassins versants de niveau d’urbanisation très faible en 1983 (inférieur à 20% à gauche) à un niveau d’urbanisation dense en 2018 (entre 40 et 60% à droite).

Des simulations de débits, réalisées à l’aide de modèles hydrologiques3 (Figure 3) aux exutoires de ces bassins, ont permis de comparer les écoulements selon une situation de faible niveau d’urbanisation et une situation de forte urbanisation, et montrent que les débits produit ont grandement augmenté suite à l’urbanisation.

Figure 3 : Comparaison des débits calculés à l’exutoire des bassins versant. Les débits des écoulements ont été calculés à l’exutoire de chaque bassin, pour les mêmes pluies, les conditions d’urbanisation étant respectivement celles de 1983 et 2018.

Parallèlement, d’autres facteurs peuvent expliquer l’augmentation des inondations. Le changement climatique induit en Afrique de l’Ouest une intensification des pluies sur une période de 24h. Cette intensification a récemment été estimée à 5% par décennie, sur la période 1983-2015, à une échelle régionale incluant Dakar4. Même si cet accroissement est important, il ne représente qu’un facteur secondaire par rapport aux effets de la croissance urbaine, dans des zones initialement peu urbanisées.

En conséquence, on peut supposer que les inondations actuelles sont principalement dues à l’urbanisation accélérée de Dakar entre 1980 et 2020, et que des problèmes similaires vont se produire dans les zones en cours d’urbanisation à l’est de Keur Massar, si cette urbanisation ne s’accompagne pas d’infrastructures de drainage adaptées à la situation.

 

La nécessité d’un outil de diagnostic efficace

La protection des inondations est un problème complexe, qui implique des stratégies d’aménagement, des ressources économiques, des acceptations sociales et politiques. A la base cependant, il est indispensable de bien évaluer les situations d’inondations, présente et future, auxquelles il faut faire face. Des outils ont été mis au point et sont actuellement disponibles pour évaluer les insuffisances des ouvrages à grande échelle, en temps réel ou pour des pluies de différentes périodes de retour. Le programme Cycle de l’Eau et Changement Climatique (CECC), financé par l’Agence Française de Développement (AFD) et l’Institut Français de Recherche pour le développement (IRD), a par exemple proposé une méthode permettant de calculer les écoulements sur la totalité de la région de Dakar, à une précision spatiale de 5m. En comparant ces écoulements à la capacité théoriques des ouvrages, il est possible d’estimer les défaillances de ces ouvrages et la probabilité d’inondation au voisinage de ces points de débordement.

 

Figure 5 : Localisation des débordements des ouvrages pour une pluie de période de retour centennale5. Les écoulements sont simulés par modélisation hydrologique et hydraulique, pour une pluie de projet centennale, soit 128 mm en 4 heures. Les codes de couleur rouge, orange, jaune indiquent des dépassements de la capacité des ouvrages de drainage ou de stockage selon différents seuils de débit. Le code de couleur vert indique que la capacité des ouvrages est suffisante pour
évacuer les écoulements.

Final

Les villes africaines, comme Dakar, sont confrontées à un immense défi en termes de croissance urbaine et d’inondations. Les solutions passent par une estimation précise des risques d’inondations, comme cela a été présenté ici, puis par des stratégies de protection relevant des politiques publiques en matière d’aménagement, d’éducation et de financement. Le chemin est encore long, mais la connaissance des phénomènes permet de progresser vers une prise de décision plus efficace !

 

 

1 De Magny et al., 2012. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0044577

2 GRS, 2010

3 Diémé et al., 2024.  https://egusphere.copernicus.org/preprints/2024/egusphere-2023-2458/

4 Chagnaud et al., 2022. https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/ac4a9c

5 Lien Inondations urbaines Dakar